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des souverains, des ministres et des États, les Lois des hommes et de Dieu, n’étaient plus que des chiffons de papier. Si l’opinion du monde, cependant alertée, avait fait la sourde pour accepter, que n’accepterait-elle pas encore ? Il n’y avait plus à se gêner ! Annette montrait un étonnement ironique que les détenteurs de la toute-puissance se montrassent si modérés ! Marc ne goûtait pas l’ironie, quand ce n’était pas lui qui la maniait. Il dit :

— « Assez !… Si tu savais tout ce qu’aujourd’hui seulement je sais, comment peux-tu l’accepter ? »

— « Je n’accepte pas », dit Annette. « C’est ma raison d’exister. »

— « Qu’est-ce que tu veux dire ? »

— « Je n’accepte rien, mon cher garçon. Ce qui est, est. Et je suis. »

— « Qu’est-ce que tu es ? Qu’est-ce que je suis ? Ce n’est pas assez de ne pas accepter. Que voulons-nous ? Où nous tourner ? Vers ceux qui misent sur la paix, ou vers ceux qui misent sur la guerre ? Des deux côtés, c’est une affaire. À l’une, l’Europe (ou, c’est trop dire ! notre Occident) gagne peut-être vingt à trente ans de paix armée. Mais quand on voit ce qu’elle recouvre, ce que pour elle le reste du monde paye et paiera, est-ce que l’on peut, est-ce que je puis m’y associer ? Ces faiseurs de paix, ce n’est pas la paix qui est leur objet. C’est l’argent. L’argent veut, aujourd’hui la paix, demain la guerre. Il n’y a pas de paix. »

Annette dit :

— « Il n’y en a jamais. La guerre est toujours cachée sous le masque. Et c’est là leur civilisation. Les fleurs recouvrent la fosse. Les bonnes gens n’en demandent pas plus. Pourvu qu’ils voient les fleurs et non la fosse ! Leurs ennemis, ce ne sont pas ceux qui creusent la fosse, mais ceux qui les obligent à la voir !