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voir sa déroute ; il s’était dit : — « Me sauver seul, leur montrer… » — (à qui ? à Annette ? Ou à cette autre, éloignée de Paris, qui restait en correspondance avec Annette ?) — il voulait montrer à celle qu’il avait bannie de sa pensée, (mais sa pensée trichait avec lui), « qu’il pouvait se passer d’elle, qu’il faisait sans elle sa vie, sa foi et son action ». Ce défi secret, qui le bandait, l’avait sauvé de la destruction. Se laisser détruire, c’eût été donner raison à Assia… Mais ce soir-là, il n’en pouvait plus ; il lui fallait s’appuyer sur le sein d’une femme et partager avec des mains de femme le poids trop lourd de ses rancœurs, de ses fureurs. Il se déchargea de tout ce qu’il venait d’apprendre. Annette n’en manifesta point d’étonnement. Son amitié avec Timon l’avait instruite. Elle savait que la politique était un guignol, dont les paroliers de la Maison-Blanche, du Quai d’Orsay, de la Wilhelmstrasse, ou de Chequers, sont les pantins aux mains du grand Capital ; et les ficelles sont embrouillées : car le grand Capital est un géant à plusieurs têtes qui sont rivales ; mais quelles que soient la tête et les mains qui tirent la ficelle, le maître de la politique est l’Argent. Que voulait le maître, aujourd’hui ? Elle s’intéressa aux nouveaux renseignements de Marc, mais elle les accueillit avec un flegme, qui décontenança Marc et le révolta. Elle s’en aperçut, et lui rappela, avec un sourire, qu’elle en avait vu bien d’autres ! Pendant toute la durée de la guerre, tandis que les peuples se déchiraient, l’Argent des Forges franco-allemandes, qui s’engraissaient du carnage, n’avait-il pas imposé aux deux États et aux grands Quartiers-Généraux des deux armées l’obligation de respecter religieusement leur poule aux œufs d’or, le bassin de Briey ? Et le contrat avait été tenu, loyalement, des deux côtés, alors que tous les autres traités