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sont l’enjeu bénéficient d’une heure ou deux de répit. Profites-en ! « Carpe diem ! » Broute le pré, en attendant, avec les veaux de l’an passé ! »

— « Je n’ai plus faim », dit Marc, d’un air sombre, « Quelle dérision de s’engraisser, afin, demain, d’être mangés ! »

— « Qui sait ? Qui sait ? Cela peut durer aussi longtemps que nous. »

— « Durer sans agir, ce n’est pas vivre. »

— « Il y a toujours place à la roulette. Je mets au jeu, je joue : donc, je suis. »

— « Et que peux-tu jouer ? Si tout est pris par la finance, quelle place reste à la politique ? »

— « C’est le plus fin jeu. La politique tient la balance. Elle hésite, oscille, et mise des deux côtés, elle guette et attend lequel des deux sera le plus fort. Le jeu est d’être et de vouloir avec le plus fort, une minute avant qu’il le soit. Ainsi, l’on fait mine de marcher devant ; et il arrive que le lourdaud même s’y méprend. Si c’est qui penche, par exemple, le plateau de la haute finance, nous jouons le rapprochement franco-allemand. Si le plateau de l’industrie lourde, nous dénonçons les armements de l’Allemagne, et nous armons. À forces égales, nous menons de front le désarmement et l’armement ; notre écurie a toujours prêts les deux attelages : le Maginot et le Briand, — la guerre, la paix. — Nos chevaux ruent et se mordent ; mais c’est surtout pour la galerie. Ce sont de vieux chevaux bien dressés, encocardés, et tous bien fiers d’appartenir à l’écurie France. Ils attendent, chacun leur tour. Et quel que soit le numéro qui sorte, nous ne perdons rien. »

— « Parce que vous n’avez plus rien à perdre. Quel que soit le jeu que vous jouez, vous jouez le jeu des autres, a