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se groupaient, épeurés, autour de leurs tondeurs de laine et faisaient front contre ceux qui voulaient les délivrer. Cœurs de moutons sont, par la peur et la bêtise, quand on sait bien jouer des deux touches, mués en cœurs de lions. Les ingénieurs de Pan-Europa n’avaient point de peine à drainer les eaux éparses et stagnantes des idéalismes vacants, et ils travaillaient à les rassembler pour une Croisade de Dieu et des Dividendes contre le Matérialisme expropriateur de Moscou. Princes de l’Église et barons des Forges, pasteurs, rabbins et croix-gammées, Christ, Krupp et Creusot, semblaient d’accord. Les Bernard-l’Ermite ne manquaient pas. Un des anciens amis de Marc[1], le gros Adolphe Chevallier, était devenu, parmi la suite de Briand à la Société des Nations, un des porte-dais de Pan-Europa. Bien entendu, il était aussi un apôtre de la Défense Nationale, de la Nation armée, depuis le berceau jusqu’à la tombe, mâles et femelles, toute la harde incorporée. Inlassablement, la presse bien-pensante reproduisait sa crinière bien soignée de pianiste et sa figure populaire de vieille dame qui fait la lippe de Robespierre.

On voyait moins, on ne voyait point la face prospère de Véron. On eût vu plutôt ses mains agiles et trapues : elles ne perdaient point leur temps ; elles allaient et venaient, elles allaient droit, mais zigzaguant entre la France et l’Allemagne, à chaque fois agrippant ici et là les réalités des affaires. Il était, à cette heure, engagé dans les conciliabules de l’Internationale Industrielle franco-allemande, avec les Casques d’Acier de Hugenberg. — Ce fut Jean-Casimir qui l’apprit à Marc : car, le pauvre diable, dans son

  1. Voir le tome précédent de l’Annonciatrice : La Fin d’un monde.