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guerre. — « N’en parlons plus ! Ce qui est fait est bien fait. Nous ferons mieux… Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! — (la volonté est bonne, quand elle a conduit au succès !) — Et béni soit l’ordre établi ! »

Il s’agissait d’en convaincre les vaincus. Il y fallait plus de rhétorique ; l’idéalisme du vainqueur ne suffisait plus. Chaque vaincu avait le sien, qui n’était pas écrit dans le même ton : ils discordaient. Pour rétablir le concert, il fallait toucher d’autres cordes, celles de la crainte et de l’intérêt communs. À point nommé, Pan-Europa était venu refaire l’harmonie des gros poissons : car ce sont eux qui donnent le ton. Ils sont les maîtres de la rivière ; ils ont profit à s’associer pour se défendre contre qui menace leur garde-manger. L’ombre gigantesque du Kremlin Rouge, qui s’étendait sur la plaine d’Europe, leur était un Croquemitaine, que très habilement exploitaient les maîtres du jeu Paneuropéen, le jeune et fin aristocrate, au regard froid de samouraï, et le socialiste défroqué, le vieux mystique madré du Quai d’Orsay. Ils se hâtaient de rassembler sous leur houlette, dans le même parc, les troupeaux et des vainqueurs et des vaincus, pour garer leur laine du concurrent commun : l’Union des États prolétariens, assise en selle, jambe sur l’Europe, jambe sur l’Asie, comme une nouvelle Horde d’Or, qui menaçait d’enfourcher le monde. Peut-être le monde — celui des dos déjà courbés sous le poids d’une classe privilégiée — n’eût-il pas demandé mieux que de changer de cavalier, ou même de sauter en selle par derrière la Horde d’Or, s’il avait su qu’elle venait pour l’aider à reconquérir sa propre terre. Mais c’était ce qu’il ne fallait pas qu’il sût. Il ne le savait pas. On s’arrangeait. Les millions de porte-toisons, des bonnes gens, bien serinés par une presse d’Amis du Peuple,