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produits, et les payât. Il était merveilleux que ces gens aux yeux agiles et professionnellement exercés fussent frappés de cécité instantanée, quand il s’agissait de voir les crimes sociaux dont les fauteurs étaient « l’Amphitryon où l’on dîne », — ou bien chez qui l’on aspire à dîner, — les maîtres français du pouvoir, dispensateurs de la galette et des honneurs, et les dictateurs pourvus d’une bonne table. Un bien petit nombre d’écrivains — toujours les mêmes — étaient assez dénués d’appétit pour protester. Mais leurs protestations, maigres comme eux et monotones, auxquelles Marc mêlait la sienne, n’éveillaient aucun écho ; elles se répétaient, chaque semaine, avec les crimes qu’elles signalaient. On finissait par ne plus les remarquer. Ou le bon public ennuyé disait : — « Encore ? » — et il se désabonnait des feuilles où il pleuvait. Il lui fallait des baromètres qui fussent au beau et des grenouilles sur l’échelle. Il préférait Clément Vautel.

Marc lui-même était gagné par l’ennui, qui se dégageait de ces pluvieuses protestations sans agir. Elles finissaient par être une échappatoire de la conscience, une porte de côté qu’on enfilait pour se dérober aux dangers d’agir, ou à l’aveu pénible de son impuissance. Quand il en eut signé une douzaine, le cœur lui manqua, et sa main rageuse cassa sa plume sur l’M de sa signature. Et il écrivit, au lieu de son nom, le mot à cinq lettres. Faut de l’engrais sur ce champ aride à « protestants ! »…

Il n’était pas besoin d’engrais pour nourrir les champignons sur couche du pacifisme, qui brusquement, en une nuit, étaient sortis. Miraculeux rendement ! Hier encore, la paix était au ban. En parler était un crime de trahison. Et aujourd’hui, elle était de bon ton ! C’était à qui se hâterait d’en fleurir sa bouche, comme les cigarières de Séville, — ou bien le bec de sa plume.