Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/121

Cette page n’a pas encore été corrigée

Assia… Mais ce sourire s’adressait à lui. Il le chassa d’un revers de main irrité, comme une mouche… La mouche revint. Elle revint se poser sur sa bouche… Sa bouche amèrement souriait de la vanité, de l’inanité de cette attitude individualiste, isolée du reste des hommes. Ce ne serait rien que le salut individuel fût un péché d’égoïsme, s’il eût été seulement possible. Il n’était pas possible : c’est un non-sens. Comment sauver un rameau de l’arbre, si l’arbre est condamné ? En admettant qu’il continue à verdoyer quand l’arbre meurt, ce n’est qu’un dernier sursaut, il ne tardera pas à se flétrir aussi. Marc, acculé à son moi, et le sondant, reconnaissait que ce moi n’avait de sève et de durée que grâce aux canaux qui montaient du soi de la communauté. Pour se sauver, il faut sauver le soi, ou périr avec lui… — Mais les génies, dans les nations et les âges qui meurent ? Oui, ils sont la bouteille jetée à la mer, l’ultime appel quand tout est perdu ! — Encore faut-il avoir un appel à jeter ! Qu’ai-je à dire, moi, Marc, qui soit digne et capable de survivre ? Et si je ne l’ai pas (si je ne l’ai pas encore… Qui sait, plus tard ?…) mon seul devoir n’est-il pas, jusqu’à la dernière minute, de lutter pour le navire qui sombre ?

Rien n’excuse que l’on s’isole de ceux qui luttent, que le génie ou la sainteté, qui ne sont pas à la mesure du commun des hommes ; et ils impliquent un combat plus difficile encore, en transposant le combat sur un plan d’éternité ; il y faut un renoncement, un sacrifice entier, « au dessus de mes forces », dit Marc. « Je ne dois vouloir que ce que je puis. Mais tout ce que je puis, je dois le vouloir, et je le veux. Puisque je veux sauver mon rameau de liberté, je veux sauver l’arbre. Puisque je veux sauver l’arbre, je veux défendre ses racines contre les rongeurs, je veux agir et m’exposer. Ceux