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tous les régimes, dans tous les temps. Il leur eût semblé malséant d’en entretenir le public. Ils y mettaient un point d’honneur, comme ces gamins qui méprisent ceux d’entre eux qui pleurnichent et qui vont se plaindre au maître. Il n’y a pas de mérite à arriver à des résultats, avec ces fastueuses installations dont disposent les expérimentateurs américains ! Tout en les enviant in petto, quand ils rafistolaient leur bric à brac avec du fil de laiton et des pinces, ils étaient fiers d’être Français. Le plus bouffon était leur attachement au régime ; on n’eût pas trouvé plus irritables opposants à tout bouleversement social ; cette attitude leur était commune avec tous les braves gens du moyen état, qui aujourd’hui se serrent le ventre : laborieux et sacrifiés, ils n’ont rien à perdre à un changement ; et le seul mot de bolchevisme, de communisme, est près de les faire tomber en convulsions 1 Qu’on ne leur dise pas que leur travail y serait, à coup sûr, mieux évalué et plus justement rémunéré ! Ils se refusent à en rien savoir. Comme ces filles prudes, qui croient toujours qu’on en veut à leur vertu, ils mettent leurs mains pour protéger leur précieuse liberté. Ils ne se disent pas qu’elle est un bijou bien entamée ! Tous les aventuriers y ont passé, après comme avant l’établissement sur le papier de la sacrée Démocratie. Ce qu’il en reste, c’est ce que les écornifleurs ne se sont pas souciés de prendre. Ce qu’il en reste, c’est leur honneur, à ces vieilles filles, à ces braves gens. Ils tiennent plus à ce laissé-pour-compte qu’à la prunelle de leurs yeux. On vit de biens fictifs, inexistants, plus que de réels. Entretenir cette illusion de propriété sans rapport est l’art de ceux qui gouvernent. Ceux qu’ils détroussent leur savent gré de l’éloquence avec laquelle ils protègent ce trésor secret — (bien secret, nul ne s’avise qu’il existe !) — leur liberté…