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tunnel de l’intuition mystique, au bout duquel on voyait dans la nuit obscure trembloter quelques étoiles, on se trouvait muré en soi, libre du dehors… Oui ! Mais à quel prix ? Entre les quatre murs de son cachot ! La vie de la taupe qui creuse sa galerie sous la terre… Mais la taupe en ressort. Quand ils en ressortaient, ces intellectuels, ces individualistes, qui se disaient indépendants, quelles taupinières édifiaient-ils ?

Marc, pour raffermir un Credo (ou un Spero), que trop de doutes, trop d’expériences avaient déjà ébranlé, se rapprocha en ces mois-là de Félicien Lerond, son ancien camarade en Sorbonne.

Il s’était fait, dans les milieux scientifiques, plus de renom que de pécune, par ses recherches sur les réactions des celluloses nitrées, soumises aux différentes radiations. Il poursuivait ses travaux en dehors, non seulement de toute action, mais de toute rumeur sociale, absolument indifférent à toute la tragédie — à la comédie également — passée, présente et à venir, de la France, de l’Europe et de l’entière humanité. Ç’aurait été révoltant, si ce désintéressement ne s’était étendu à lui, à son confort, à son succès, à tout ce qui, hors son travail, le concernait. Et ce travail, il le menait dans les conditions les plus ingrates, sans subvention de l’État pour acheter ses instruments et réaliser, avec des moyens de misère complétés de ses propres économies, ses lentes et difficiles expériences, dans un sous-sol étroit comme un placard, où il devait entrer presque à quatre pattes, à l’un des angles d’une baraque en planches et plâtre, qui s’effritait, laissant passer par les interstices le vent glacial et la pluie. Il devait gratter sur ses modiques appointements, pour parer aux frais les plus urgents. Il le faisait sans plainte et sans étonnement, comme si c’était tout naturel. Bien d’autres savants faisaient de même, l’avaient fait sous