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Marc y restait englué. Il était d’une race qui tient ses livres de comptes. Elle ne les inscrit pas sur des chiffons détachés. Elle ne sait pas oublier.

Il faut avouer que, dans l’aventure, il aurait eu plus de mérite à le faire que l’autre. Ce qu’elle laissait derrière elle, c’était l’injure qu’elle lui avait faite. Marc la remâchait amèrement. Il n’arrivait pas à s’en rincer la bouche. Il en traîna longtemps le goût de fièvre ; il la sentait sur ses vêtements ; il lui semblait que, n’importe où il entrât, les autres devaient la respirer sur lui. Longtemps, il fut repris à l’improviste par des accès qui le secouaient de frénésie et de souffrance, de jalousie, d’amour et d’orgueil blessés, d’intolérables ressouvenirs. Si c’était hors de chez lui, dans la rue, il se hâtait de rentrer, il se cachait pendant ces crises. Annette, lorsqu’elle s’en apercevait, n’essayait point de forcer sa porte ; elle se retirait, par un instinct qui lui faisait deviner que, comme femme, elle participait à ce qui entretenait l’acre venin de sa blessure. Et c’était vrai. À ces moments, sa haine d’une femme s’étendait à toutes. Le seul contact d’une main de femme, le frôlement d’une passante dans la rue, lui causait une répulsion. Comme les vieux peintres des damnés, il eût vu sous chaque robe la gueule vorace