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Assia rapportait dans sa sale chambre d’hôtel (elle s’obstinait à n’en pas changer) son ressentiment non déchargé.

Mais par un étrange détour du cœur, elle n’avait plus jamais remis les pieds à son bureau, depuis qu’elle s’était séparée de Marc ; et elle écartait farouchement de sa pensée l’image de cet autre homme… Elle ne voulait même plus savoir son nom… Si curieuse qu’elle fût, jusqu’à l’impudicité, de lire au fond de ses secrets mouvements, elle évitait de s’expliquer à ce sujet. Il fallut un brusque accès de rage, au reçu d’une carte de Djanelidze, pour faire surgir de derrière sa porte la vraie conscience des pensées qu’elle tenait sous le verrou. La carte — trois mots insignifiants ( « Bien arrivé. Merci. » ) — fut sur le champ jetée aux latrines ; et Assia pissa dessus. Elle était toute hérissée de haine atroce. — Et elle s’aperçut que sa rancune contre Marc n’était plus : c’était contre l’autre que sa rancune était dressée. Se décidant enfin à examiner tout cet obscur qu’elle portait au fond de son sac, elle se trouva terriblement démunie de toutes ses armes, de ses griefs amassés contre son compagnon. Si elle s’était attribué sur lui, jusqu’à ce jour, une créance de rancune, elle s’en était payée, ils étaient quittes. Elle admettait (ce qu’elle s’était toujours refusé à reconnaître) qu’elle l’avait trahi. Non pas tant à la façon, dont lui et les autres l’envisageaient. Le fait importait beaucoup moins que la pensée. Le fait la concernait, elle, et non pas lui : c’était à elle de s’en arranger ou non, avec soi-même : elle se suffisait de son mépris, de son dégoût, pour le juger, pour se juger ; il n’avait pas à s’en mêler. Mais le grave était qu’avant le fait elle avait trahi Marc pendant des mois, en sa pensée ; elle avait déserté de lui, lointaine, étrangère et hostile, des nuits, des nuits, couchée à côté de lui dans le même lit. Qu’était-ce