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fait son choix, voyant Fembarras de Marc, lui dit, bon camarade :

— « Veux-tu changer ? »

Marc avait envie de le gifler. Honteux et furieux, il aidait Ginette à retourner le matelas. La petite lui murmura à l’oreille :

— « Ça ne fait rien ! Si vous ne voulez pas, on fera semblant ; on dormira, chacun de son côté. »

Il fut touché. On éteignit. « Dormir, chacun de son côté », c’était facile à dire ! Il n’y avait place que dessus ou dessous. Et, en étendant la main, on touchait l’autre couchette, où les deux autres n’attendaient pas pour commencer. Ginette humblement s’excusait :

— « Je suis laide. »

Il dit :

— « Non ! »
avec conviction. Non, vraiment, ce n’était pas pour cela. Elle tâchait de comprendre. Elle supposa qu’il en aimait une autre et qu’il voulait lui rester fidèle. Il se garda de la détromper. Elle trouva que c’était beau ; elle n’était pas habituée à ces scrupules. Elle bavardait sur l’oreiller, puérile, touchante, vicieuse, honnête encore. Marc qui, quoi qu’il fît, appuyait la bouche presque au coin de ces lèvres bavardes qui remuaient, goûtait leur suc d’amande, doux-amer. Et le moindre mouvement qu’il faisait démuselait les esprits de la terre. Il n’osait pas remuer. Et naturellement, ce fut à l’instant qu’il affirmait énergiquement : — « Non ! » qu’ils dirent : — « Oui ! »… Et après, il fut indigné, dégoûté de soi. Elle, ravie, croyant toujours qu’il pensait à sa belle trahie, tâchait de le consoler, disait : — « Elle n’en saura rien. » — Mais il n’y tenait plus ! L’air de ce galetas l’étouffait. Elle se leva humblement, pour lui ouvrir en secret la porte du magasin, pendant que les autres dormaient. Au moment de se glisser par la chatière, il lui baisa les genoux. Il se retrouva dans la froide nuit d’avril, mouillé de