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Ils se laissèrent pourtant enrôler dans la manifestation du premier dimanche d’avril.

Les esprits, en ces jours, étaient sous haute pression. L’acquittement criminel de l’assassin de Jaurès — ce second assassinat — au cours du mois de mars, a souffleté ces jeunes gens. La sève de violence monte au cœur de Paris, avec celle du printemps. Même les plus calmes de ces étudiants, les agnelets chrétiens, bêlent après le Bon Pasteur de la Révolution. Même les pâtres de bucoliques sonnent sur leurs flageolets des ritournelles de marche : « Formez vos bataillons !… » Même Adolphe Chevalier, qui ne concevait, pour son compte, l’action — (la passion aussi, prétendaient les mauvaises langues) — que la plume en main, devant son écritoire, se résigna à prendre place dans les rangs de cette foule, dont la promiscuité faisait souffrir sa délicatesse. Il ne fallait pas avoir l’air de se dérober, pour la première fois qu’on agissait — (qu’on feignait d’agir) — et qu’il pouvait y avoir du danger.

Ils se retrouvèrent donc six sur sept — (la seule Ruche, indifférente, sachant d’avance, était restée au logis) — dans l’avenue Henri-Martin, parmi un peuple qui jubilait. Étrange commémoration d’un grand mort, non pas une fois, mais vingt millions de fois vaincu,