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sont détachés de tout et d’eux-mêmes. Des éphémères qui dansent dans le tourbillon de l’instant… Il ne daignait point s’expliquer aux camarades, qui l’ironisaient. Véron lui disait, bonhomme et brutal :

— « Tu te vends ? »

Et Bouchard à Véron

— « La fille suit sa nature, r

Et Adolphe le cossu se taisait, dédaigneux, et il ne comprenait pas comment on pouvait aliéner sa liberté à l’État. Et Marc se taisait aussi, mais son silence était sans outrage : car il devinait en partie les raisons du fin et félin garçon, qui ne se donnait point la peine de se défendre. À quoi bon ? Mais conscient de l’attrait (mêlé de répulsion) qu’il exerçait sur Marc, Luce lui disait, désignant les trois augures, avec son joli sourire qui creusait la fossette à la joue :

— « Qui de nous, le premier, trahira ? »

Et sur-le-champ, posant sa main câline sur celle de Marc :

— « Mais le dernier, ce sera toi. »

Marc écartait sa main, grondant. L’éloge était pour lui un affront. Les yeux de Luce le caressaient. Il savait que Marc aussi le méprisait ; mais le mépris de Marc ne l’offensait pas, il était sans injure ; et des camarades, Marc était le seul à qui Luce en reconnût le droit : car Luce l’avait jugé le seul qui jouât et qui jouerait franc jeu jusqu’à la fin… Bouchard aussi, peut-être ? Mais cette franchise de brute n’avait, pour Luce, aucun intérêt. L’aristocratique garçon ne se sentait le « semblable » que d’un homme à l’esprit lucide et fin comme lui, où la vive pensée affleure sous la peau. Marc avait beau lui être de caractère opposé et hostile. Ils étaient de pair. Et Marc aussi le sentait. Avec colère, il devait s’avouer que Sainte-Luce lui était, de tous, le plus proche — le seul proche. Il se laissait prendre le bras par lui, et confier ce que Luce ne livrait à aucun autre : tout ce machiavélisme juvénile et roué, d’une expé-