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Ils ne le disaient pas. Même les Sept, ils commençaient à équivoquer. Le premier, Adolphe Chevalier, excipait, ore rotundo, du devoir de « l’accommodation au réel », pour se retirer dans ses propriétés… « Arrangez-vous ! Moi, je m’arrange. Je suis réaliste… » (Un mot qui fit fortune en ce temps. Il permettait de faire ses affaires, en prétendant infuser au pays le sang nouveau d’un pragmatisme politique, sain et viril, qui s’opposât à l’idéologie creuse des générations précédentes… L’idéologie de ces générations n’a pourtant jamais empêché les habiles gens d’arrondir leur pelote ! …)

Véron et Bouchard perçaient à jour la vertueuse Géorgique de Chevalier, et ils l’écrasaient de leurs sarcasmes. Mais eux aussi trichaient. Tout leur tapage de Révolution était un jeu qui les dispensait de l’action. Quand ils vociféraient entre copains pendant des heures, pulvérisant la société, quand ils brossaient le plan vigoureux d’une future manifestation, ils jouaient aux soldats de plomb.

Le seul qui reconnût la situation, sans chercher à la déguiser, était celui de qui Marc eût le moins attendu la franchise : Sainte-Luce. Il préparait, aux deux Écoles des Sciences politiques et des Langues orientales, sa carrière dans les consulats. Mais il entendait bien ne pas s’enchaîner. Il ne cachait point que son objet était l’évasion. Au lieu de la chercher au dehors de la machine, dont les courroies et les pilons auront tôt fait de vous happer, il prétendait la trouver au cœur. Creuser sa niche dans le centre même de l’ouragan. Et de là, voir, connaître, agir et jouir, sans attaches avec rien. Libre et lucide, échapper à l’universelle servitude, en exploitant cyniquement les intérêts des maîtres du jour et en les jouant, — mais sans ambition et sans lucre, cherchant seulement à saisir l’instant, sans jamais se laisser saisir par lui, et toujours prêt à l’abandonner, avec sa vie : car les êtres de cette espèce