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Toutes les idéologies qui la nient ou qui, ne le pouvant, prétendent la célébrer, sont des garces, des faces à soufflets. Je leur fesse la gueule ! La guerre est là. J’ai sa griffe à mon cou et, dans mon nez, son souffle putréfiant. Si je veux vivre, il faut me dégager et fuir, ou bien passer au travers. Passer au travers, c’est savoir ce qui est au delà… Savoir, pouvoir ! Le pourra-t-on ?… Et fuir est une autre forme, plus basse, de savoir. Savoir que la bataille est perdue. Sauve qui peut !… Ne peut se sauver un Marc Rivière qu’en traversant les lignes ennemies. Fuir en avant !… Il se le répète, afin d’en être bien sûr… Mais en est-il sûr… ? Autour de lui, c’est une débandade d’hommes jeunes et vieux qui prennent leurs jambes à leur cou !

Une ruée vers la porte de sortie : — les dancings, les sports, les voyages, les fumeries, les femelles — le plaisir, le jeu, l’oubli — la fuite, la fuite…

Il y avait vingt façons de fuir. Et pas deux sur vingt qui eussent la loyauté de convenir qu’elles étaient une fuite. Il faut être bien fort, pour se mépriser et, se méprisant, garder l’élan à la vie ! Les plus distingués évoquaient, comme Adolphe Chevalier, le refuge de l’art et des champs… La Première Églogue (la Seconde aussi)… Ah ! le bon exemple d’un vaincu comme eux, le doux Virgile de l’après-guerre, chantre après dîner des proscripteurs, des nouveaux riches… (Ô ironie ! que ce soit l’ombre dont ait choisi la main molle pour le guider, l’âpre Dante !…) Encore le Mantouan pouvait-il invoquer son : « Deus nobis haec otia… » Mais pour les jeunes Tityres et Corydons d’aujourd’hui, aucun Deus n’est venu. Et il leur eût fallu une forte dose d’illusion, pour s’imaginer que le prochain bouleversement du vieux monde oubliera dans leur douillette ceux qui tâchent de l’oublier en s’hypnotisant comme la poule devant le trait de craie, aux tables de jeu de l’art, où le croupier est l’esthéticisme émasculé, dont les mains blanches, les sales mains, n’auraient