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manque pour se frayer le chemin vers le profit. Le fils de Annette n’a pas reçu ce don, de nature. Il est raidi dans la conscience anachronique — (les soufflets de la vie n’ont pas eu le temps encore de l’assouplir) — de la valeur sociale de l’intellectuel ; et il lui paraîtrait indigne de déroger ; il promène infructueusement ses diplômes et sa petite science à dégorger. Qui s’en soucie ?

Bouchard lui dit :

— « Fais comme moi ! Tape Véron ! Le cuir de veau est pour rien. »

Mais Marc est trop fier pour se mettre dans le cas de subir, avec l’aumône, les marques d’outrageante supériorité que s’arrogerait son créancier.

— « Sa supériorité ! Je ne lui conseille point de réclamer ! Je ne lui dois rien, je lui prends ! » gronde Bouchard ; et l’on ne sait point s’il plaisante.

Marc lui réplique sèchement que le voleur d’un voleur est un voleur. Bouchard répond, les yeux torves :

— « La vie, c’est le vol. Vole, ou crève !… »

Oui, vivre, c’est survivre à ceux qui, dans l’éternelle mêlée, vous disputent le souffle et la place. Nul être ne vit qu’aux dépens des millions d’autres candidats à l’existence. Marc le sait. Aucun des fils de ces années féroces ne l’ignore. Mais si tous — sauf ceux qui sont marqués pour la mort — ont accepté le combat, ils sont encore un certain nombre (Dieu soit loué !) qui prétendent y maintenir un esprit de chevalerie. Si on leur disait ce mot, ils protesteraient : ils auraient peur du ridicule. Mais les mots seuls sont démodés. L’esprit maintient, sous toutes les modes, l’impérissable armature de ses grandes vertus et de ses grands vices. Un Marc eût été Marc, même dans les temps Mérovingiens ; et il restera Marc jusqu’à la fin des temps.

Il n’ira donc pas demander — même impérative-