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riosité : (la curiosité d’esprit est, chez lui, une passion qu’il baptise du nom de devoir). Il s’applique à lire Marx. Mais il ne lit pas bien. Il feuillette. Son individualisme indiscipliné se cabre devant l’implacable nécessité de ce matérialisme historique. Il a beau vouloir plier, par ascétisme, son moi envahissant. Le moi renâcle. Il ne touche au pré marxiste que du bout des naseaux dédaigneux. Cette prééminence humiliante de l’ « économique » sur le « psychique », le révolte. Il est pourtant « payé » pour savoir, lui et sa mère, ce qu’il en coûte de se heurter à l’ « économique », et qu’il faut compter avec cela. Mais lui et sa mère, ils sont de ces romantiques — (dirons-nous surannés ? ou éternels ?) — dont la vraie raison de vivre est de revendiquer leur âme indépendante contre toutes les fatalités qui l’oppressent. Il n’est point dit qu’ils y parviennent, en aucun lieu, en aucun temps. Mais ils le veulent. Ils ne seraient pas eux, s’ils n’avaient cette volonté. Et qu’ils l’aient, même vaincue, c’est assez. Même si un Destin l’extermine, le Destin doit compter avec elle : elle est un fait, qui pourrait bien durer aussi longtemps que lui. — Marc n’est pas dans de bonnes conditions pour lire des livres qui ne lui renvoient pas le reflet de ses désirs. Ses yeux sont hostiles. Il est encore loin du haut esprit objectif, auquel atteint la maturité des lutteurs aguerris, en présence de l’ennemi. Il n’écoute pas l’adversaire jusqu’au bout ; il l’interrompt, il lui dit : « Non ! »

Mais il y a plus : ce n’est pas seulement la pensée opposée qu’il se refuse à suivre, pour bien connaître ce qu’il combat. C’est toute pensée qui veut qu’on fasse effort pour l’écouter. Il ne peut rien lire avec suite. Il est dans une courbature de l’attention. Il a la fièvre à la pensée. Il ne peut la fixer sur rien. Il commence vingt lectures à la fois ; il n’en achèvera aucune. Au premier tournant de chapitre, son esprit poursuit une autre piste. Il y en a tant qui s’entre-croisent, que qui