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ce qui fait plutôt parler qu’agir. Il n’est point fourbe, il n’est point lâche : (aucun de ces jeunes hommes ne l’est ; ils feraient tous bon marché de leur peau, à condition de n’être point dupes, comme leurs aînés, ces malheureux — ils disent : ces imbéciles) ! Mais précisément, Véron ne veut être dupe pas plus de la Révolution que de la réaction. Il est tout prêt à chambarder la société, si le chambardement a des chances ; s’il n’en a point, Véron chambardera les chambardeurs. Tant pis pour eux ! Merde aux vaincus ! Le mépris des faibles est la morale des Véron. Que les faibles ne se trouvent point sous leurs larges pieds !

Véron attend de voir si ceux des aurochs moscovites sauront se frayer la trouée. Et en attendant, à Paris, il va tâter, avec Bouchard, le ventre à la Révolution. Il ne lui faudra pas longtemps pour diagnostiquer que le fruit est mort. Les organes essentiels y manquent. Dans la masse confuse de cette jeunesse révolutionnaire, ou qui se dit l’être, il n’est pas un qui soit préparé à agir. Pour les uns, agir est simple, trop simple : c’est cogner. Cogner dans le tas, sans y regarder. Pour les autres, agir c’est discuter sur la doctrine. Ils ne sont pas près d’avoir fini ; et peut-être qu’ils n’y tiennent pas. Les doctrinaires les plus fanatiques se trouvent dispensés d’agir, par le devoir de maintenir pure la doctrine : l’action est toujours, plus ou moins, un compromis. Et chez les uns et chez les autres, les gens de l’action et ceux de la théorie, c’est une ignorance crasse de la vivante réalité, de l’organisme des États géants d’aujourd’hui, de leur appareil respiratoire et digestif, de leurs quotidiennes nécessités économiques, des lois vitales qui commandent aux poumons et aux tripes de ces Gargantuas. Où et comment ces pauvres garçons, étudiants, ouvriers ou anciens combattants, auraient-ils eu les moyens de l’apprendre ? Véron, lui, est familier avec la tripe — avec l’argent, les banques, les affaires, le va-et-vient