contracté ; le sang s’amasse dans les bourrelets au-dessus des yeux ; il s’acharne à faire entrer dans ses dures méninges la glaise compacte de ses livres d’examen. Il ne sent point le gel polaire de sa mansarde. Il a le crâne allumé. Mais son robuste estomac hurle. Il faut boucher la gueule au loup, jusqu’à ce que les méninges aient absorbé la ration de glaise assignée pour le jour. Quand il est au bout, la langue lui pend de la bouche. Il descend dans la rue, comme un furieux. Il est en quête de quelqu’un qui lui paie à manger. Il cherche Véron. Il dit crûment :
— « Je viens t’aider à dégorger l’argent volé. Au nom du peuple, je récupère. »
Véron a commencé par en rire. Il prétend se payer par le mépris :
— « Tu veux un os ? »
— « Je veux la viande, réplique l’autre. Pour ta carcasse, je te la laisse ! »
Véron rit jaune. Mais, par orgueil, il tâche de ne pas le montrer. Quand on joue le rôle de Catilina, il faut nourrir la canaille. On ne sait pas encore, à cette heure, si la canaille n’aura point la force de se hisser sur les ruines. La société est désemparée. Il suffirait de quelques énergies décidées pour faire irruption par la brèche, avant que les défenseurs aient repris le souffle. Mais les seuls chefs avertis sont en Russie, bloqués, sans communication avec le gros des gueux du monde, qui les ignorent. Clemenceau est en train d’établir, sur la frontière de Roumanie et d’Ukraine, son barrage de troupes Alliées, aux yeux bandés par les mensonges de sa presse. En Occident, les « Soutiens de la Société » auront le temps de se reformer. Cependant, en ces premiers mois de 1919, l’air est saturé d’électricité. Véron qui, par son milieu d’affaires, est mieux informé, flaire les chances d’une explosion. Il est assez avisé pour ne livrer à ses intimes, de ce qu’il sait, que ce qui ne risque pas de lui nuire,