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Mais il avait beaucoup à faire : car l’ennemi venait d’où il ne l’attendait pas. Nul ne conspirait que lui.

Il ne savait absolument pas que décider de sa vie. Et cependant, il était urgent qu’il décidât. La vie actuelle est une ruée aux emplois. Aux premiers qui se jetteront dessus ! Mais pour se jeter, il faut avoir choisi… Non, prends d’abord ! Sinon, tu arriveras après la table desservie… — « Mais si rien de ce qui est sur la table ne me tente ?… » — « Alors, rien ne te restera que ce qui est dessous. Tu seras chien. » — « J’aimerais mieux être loup, comme « elle » a dit. » Mais c’est un luxe. Les exploiteurs, les maîtres du jour, se le réservent. Le bagne aux autres, aux petits !

Où trouver l’emploi à la mesure de ses épaules ? Dans la boutique au marchand d’habits, il n’est plus une de ces défroques qui s’adapte à ces jeunes tailles. Pour un garçon intellectuel et pauvre, qui a ses diplômes universitaires, l’Université offre (offrait hier) un naturel débouché. On se fait enseigneur à son tour. Mais l’Université est en baisse aujourd’hui. Elle est gueuse. Et elle accepte sa gueuserie, sans récriminer. Autrefois, cette acceptation était nommée noble fierté. Aujourd’hui, les jeunes bouches recrachent ce pain moisi. Ils ne sont pas loin de l’appeler pain des pleutres. C’est cependant à ce prix que nos grands savants désintéressés ont enrichi de leurs labeurs l’humanité. Oui, mais à ce prix au moins, ils défendaient leur indépendance. Aujourd’hui, c’est leur domesticité qu’ils défendent. Ces années de guerre ont montré en l’Université la meilleure servante du pouvoir. Être à la fois pauvres et valets, désintéressés et serviles, c’est trop pour l’ironie de ces jeunes gens. Ils ont beau jeu dans leur mépris de « l’idéalisme ». Et, par riposte, eux, ils se vantent qu’il leur faut être riches et libres — et qu’ils le seront… Donnons-leur rendez-vous dans dix ans !

Des Sept, deux avaient pris ; non par choix, mais