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à détruire… Je ne puis pas t’épargner les injustices et les torts… Mais (c’est la seule chose que je te demande), épargne-les aux faibles, aux petits, à ceux ou celles qui peuvent mal se défendre !… Les autres, c’est leur affaire et la tienne. Qu’ils encaissent ! Et toi aussi !… Le blé est fait pour être battu. Va te faire battre !… Comme dit le proverbe,

« Chacune mort a sa bataille
Et chacun grain sa paille. »

Je n’ai point fini de perdre la mienne. Tu es mon grain. Passe sur l’aire, à ton tour ! Afin que Dieu fasse son pain… « Da nobis !… » Il ne nous le donne pas. Nous le lui donnons. C’est nous, avec nos peines, qui lui blutons sa farine… »

— « Je n’entends pas être mangé, dit Marc, sans manger aussi ma part. »

Il masquait sous la rudesse l’émotion que lui causait la parole de sa mère. Elle avait touché droit au fond. Inutile de s’expliquer. Ils se comprenaient à demi-mot.

Ils restèrent encore un moment, l’un contre l’autre, à se dévisager ; et il y avait, sous leur tendresse, un défi :

( — « Je t’aime. Mais je ne te le dirai point. »

— « Je n’ai pas besoin que tu me le dises. » )

Elle lui prit le menton, et rit :

— « Eh bien, mange ta part, mon petit loup. Moi, j’ai la mienne. »

Elle l’embrassa.


La mère et le fils n’avaient point coutume de s’embrasser. Ils se méfiaient des effusions. Ce baiser d’adieu n’en compta que mieux. La bouche de l’une disait à l’autre :

— « Brûle, si tu veux ! Mais ne te souille point ! J’y mets mon sceau. »