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senté avec tant d’abondance de cœur, que Annette, désireuse de s’éloigner de Paris, accepta l’occasion. Elle n’était pas insensible à l’affection débordante des trois affectueuses filles, qui lui livraient à nu leurs âmes primitives et compliquées ; leur expansivité sans mesure faisait un heureux contraste avec la nature renfermée de Marc et avec la réserve que Annette se forçait à observer dans ses rapports avec son garçon.

Donc, elle se décide à quitter Marc. Elle sait les risques. Ils sont immenses. Mais on n’y peut rien. On n’est point de race, si on n’est de taille à les courir. Qui dit la vie, il dit la mort : c’est un duel de tous les instants.

Elle lui pose les mains sur les épaules ; à l’improviste, elle le regarde dedans, jusqu’au fond. Dans ces yeux clairs, il se voit nu, il a d’instinct un mouvement brusque, comme pour voiler les parties honteuses de sa pensée. Mais elle les a vues… Trop tard ! Il serre les narines et se ramasse sur lui-même, irrité. Elle lui dit :

— « Mon cher garçon, je pèse lourd sur tes épaules… Si ! je le vois, je le comprends, ne te défends pas !… Tu m’aimes bien, mais tu as besoin de ta liberté. C’est légitime. Ce témoin perpétuel te gêne… Je m’en vais t’en débarrasser. Tu pourras faire tout seul tes expériences. Quand on fait son école de la vie, les partenaires sont de trop ; qu’ils vident la place ! On doit pouvoir gaffer sans public… Va donc, et gaffe !… Tu sais, comme moi, que tes expériences seront souvent à tes dépens… Tâche seulement qu’elles soient plus souvent à tes dépens qu’à ceux des autres !… Oui, mon garçon, nous nous parlons en vieux compagnons ; je puis te le dire : j’ai plus confiance en la droiture de ton cœur qu’en celle de ton esprit… Et après tout, j’aime mieux qu’il en soit ainsi… Tu es violent, entier, sans égards, prompt à prendre et