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une rive et l’autre de l’Atlantique par la forme de ses fioles autant que par ce qu’il y avait dedans. Sa gloire rivalisait avec celle de Foch. Le sire n’était pas loin de croire qu’il illustrait la France, autant. Tout compte fait, son genre d’illustration avait coûté moins de dépens. Il se vantait volontiers d’être le Napoléon des femmes : c’est la moitié du monde ; il laissait l’autre au Premier. Il signait ses produits : « Coquille » (Guy) — (de son vrai nom : « Cocu » ; mais bien que cela porte veine, dit-on, cela ne s’arbore point : Sylvie se chargerait bien de faire, un jour ou l’autre, honneur à sa traite !…)

Pour l’heure, ils se tenaient, l’un à l’autre, attachés par les sens et le bon sens, — c’est-à-dire l’intérêt. Le Coquille portait beau ; et grâce à quelques sacrifices judicieusement consentis à un des premiers chanteurs de la presse en crédit, il n’avait eu point de peine à fleurir sa boutonnière, du ruban, dont l’insigne rehaussait de 50  % le prix de ses flacons.

Sylvie lui était une superbe partenaire. La fraîche maturité de ses quarante ans avait pris l’éclat opulent des nymphes de Jordaens : le sang lui affleurait sous la peau, au front et aux tétons — un peu trop — mais elle ne faisait rien pour en diminuer l’ardeur : c’était un de ses attraits ; il s’en dégageait, ainsi que des yeux charnels, une buée de volupté ; elle y paraissait baignée, splendidement dévêtue. Quand elle se considérait dans son miroir — (et alors, plus aucune brume aux yeux ! le regard aux sourcils rasés se promenait, du haut en bas, net, aigu et précis, comme le Petit-Caporal, au front de sa compagnie) — elle cherchait, ironique, à retrouver les formes de la Sylvie sans gorge, la chatte maigre des vingt ans, dans ces grasses épaules et le verger de cette poitrine — belle récolte, pleins paniers — dont elle étalait les fruits, sans en dissimuler l’orgueilleuse plénitude. Car elle était assez sûre de soi pour, tout en la fabriquant, défier la mode qui passait