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On s’étonnera peut-être qu’elle n’eût pas demandé à sa sœur les moyens d’y rester. Car Sylvie était en mesure de l’aider ; et elle ne s’y fût pas refusée. Mais il faut se rappeler l’esprit des deux sœurs et, malgré leur mutuelle affection, les frottements irritants entre ces deux caractères entiers et rivaux. Elles avaient beau toutes deux se chérir et même s’accorder, à chacune, la supériorité dans son domaine à part : chacune regardait (cela va de soi !) le sien comme le meilleur ; et, sans trop s’en rendre compte, chacune tâchait d’établir sur l’autre sa victoire morale, dans la course de la vie. Ce n’était donc jamais avec plaisir que l’une se résignait à demander à l’autre de lui rendre des points. Elles étaient joueuses toutes deux, — oh ! sans tenir à l’enjeu ! — et elles voulaient gagner, sans redemander de cartes.

Annette avait dû pourtant consentir à Sylvie la satisfaction, d’orgueil et d’affection, de se faire avancer quelques milliers de francs, peu de mois auparavant, pour ses dettes urgentes, les dépenses scolaires de Marc et ses termes de loyer arriérés. Elle avait gardé l’esprit des bourgeois d’autrefois, qui ne dormaient pas bien, tant qu’ils avaient une dette sur l’estomac. Mais, à sa contrariété, elle ne fit que changer de dettes : non seulement elle n’avait pas les moyens de rembourser sa sœur avant longtemps, mais elle voyait revenir la nécessité de lui faire d’autres emprunts.