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fois usé dans la passion, la souffrance et la joie, les liens de l’Illusion que ces liens se détendent, et que si l’on garde leur marque profondément encore gravée dans sa chair, c’est qu’on y a jouissance et que, soi-même en secret, on resserre la sangle : elle tient, parce que l’on aime, elle tient parce que l’on veut, parce que l’on veut qu’elle tienne… Mais si l’on ne voulait pas ?… On le sait, on le sait !… Mieux vaut n’y pas penser… On a beau n’y pas penser. On le sait !… Clairs yeux terribles et riants de la Liberté…

Ce ne sont point là des secrets à livrer aux jeunes gens ; et il vaut mieux soi-même, tant que l’on veut agir, ne pas les approfondir. Mais d’en porter le sérum injecté dans le sang, chez une nature robuste et bien équilibrée, ne nuit pas à l’équilibre, mais l’établit sur de plus riches éléments. Et l’action n’y perd rien ; elle en devient plus ferme, plus joyeuse, étant plus dégagée de crainte et d’espérance. On ne saurait l’expliquer — à moins d’un guide très sage : — mais c’est seulement à partir de ce stade qu’on commence à jouir pleinement de la vie et de l’action, — parce qu’à toutes les fièvres qu’elles peuvent apporter est mêlée désormais cette lumière exaltante, cette révélation — ( « Tais-toi sur ton secret ! » ) — que « tout cela est un Jeu ».

C’était une disposition générale de l’époque, un phénomène d’après-guerre. L’action avait été si terrible, si intenses les passions engagées qu’il fallait, pour pouvoir continuer, détendre la haute pression de l’esprit : — on jouait avec la vie ; on jouait avec le terrible ainsi qu’avec la joie ; on jouait avec l’amour, avec l’ambition, avec la haine. On jouait instinctivement, sans bien se l’avouer… Redoutable danger d’une époque, qui a perdu, pour un temps, le sens des valeurs de la vie, et pour qui les plus graves sont devenues des jouets ! Il était peu de ces gens, qui les uns plus, les autres moins, ne participassent à cet