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Annette ne suffisait plus à sa double charge : sa vaillance n’y pouvait mais ! Les moyens d’existence se raréfiaient dans sa sphère. Toute une classe moyenne de travailleurs intellectuels, à l’ancienne mode, la meilleure part, la plus honnête et la plus désintéressée de la bourgeoisie libérale, était en train de mourir à petit feu, ruinée et décimée par la guerre, par la banqueroute masquée, par l’anéantissement de ses laborieuses économies, par ses traitements de famine et l’impossibilité de s’adapter aux nouvelles conditions qui exigeaient une race neuve, une race de proie. Elle s’éteignait, en silence, sans un cri de révolte, stoïquement, comme avaient déjà fait ses sœurs, plus tôt frappées, d’Allemagne et d’Autriche. Ce n’était pas la première fois que l’histoire enregistrait cet écroulement — fatal après les grandes guerres et les crises sociales — d’une des plus nobles ailes de la vieille bâtisse humaine. Mais l’histoire n’a point coutume de s’y attarder. Elle est faite par les vivants, qui marchent sur les morts, après les avoir détroussés. Tant pis pour ceux qui tombent ! Que l’herbe pousse sur eux, et le silence !

Annette n’était pas près de tomber. Elle avait ses jambes et ses bras vigoureux. Nulle tâche ne lui faisait peur. Elle était solide et souple. Elle savait s’adapter. — Mais elle avait affaire, en plus des conditions oppressantes qui pesaient sur sa classe, à des diffi-