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n’étalait point ses misères, les failles de l’organisme ébranlé par d’inquiétants tremblements de terre) ; il était simple et cordial ; il savait rire, et ses manières un peu brusques, aux premiers jours, déshabituées du monde habituel des vivants, s’étaient vite remises au pas, sans pourtant aller jusqu’aux brutales exagérations d’hommes des bois, dont ses jeunes compagnons croyaient devoir prendre parfois le masque cynique : il les regardait jouer leur rôle, avec une affectueuse ironie. Une douceur fatiguée souriait au fond des yeux qui, sans rien perdre du spectacle, sommeillaient, songeaient, rattrapant les heures du dormir volé, les jours, les nuits de vie toute pure, toute brute, sans pensée, sans but, vide de passé, vide d’avenir, pleine jusqu’aux bords de l’instant présent, ce fleuve sans rives, dont la présence constante de la mort et son ignoble embrassement l’avaient sevré depuis des ans, sevré de l’ombre des saules sur les rives, du frais des eaux, du vivre immense qui s’écoule, jamais le même, toujours le même, de la paix des mondes qui passent, qui passent, passent et qui reviennent, éternellement. Aucun de ces garçons, qui devant lui s’agitaient et plastronnaient, ne s’en doutait ; ils n’en n’avaient jamais été privés, ils étaient trop habitués à clapoter dans l’eau pour en sentir le bienfait. À quoi bon tâcher de le leur faire comprendre ? Trop fatigant ! Un autre jour, ils comprendront. Fais ton école ! J’ai fait la mienne… À ces paires d’yeux, qui lui posaient leurs pistolets sur les tempes, lui demandant avec une instance courroucée, ce qu’il ferait, ce qu’il comptait faire, il répondait, narquois et lassé :

— « Me retirer. »

Ils sursautaient.

— « Où ? »

— « N’importe où. Dans mon coin, ma chambre, mon champ. »

— « Et qu’y feras-tu ? »