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tice des peuples déçus, ce fut à lui qu’on en voulait le plus. Les crânes avaient achevé de se débourrer. À présent, ils étaient vides, vides à souhait… L’abîme… N’importe quoi ! Mais le remplir, à nouveau !

Les Cinq qui avaient usé leurs dernières forces d’action pratique à manifester (à part Véron) devant la Sorbonne, pour Wilson, — que le surlendemain ils laissaient, honteux, tomber au panier, cherchaient en vain aujourd’hui des leçons et des exemples vivants d’énergie où s’accrocher. Le seul qui eût conservé leur respect, parce que la loyauté de sa parole avait pour garants la hautaine épreuve qu’il en avait faite dans l’action — dans la guerre — et le stoïcisme de sa vie, — Alain — professait la doctrine Socratique, dangereuse pour les caractères moins bien trempés, de séparer la liberté dans l’esprit du devoir civique d’obéissance. Il enseignait, comme il avait fait, à mourir, s’il faut, en service commandé de l’État, en le jugeant. Mais sa leçon de lucide énergie, dont la voix ne dépassait point un petit cercle d’intellectuels, risquait d’être interprétée par les âmes molles, à l’affût de prétextes moraux pour se dispenser de l’action et de ses risques, comme une protestation platonique de la conscience qui s’accommode des compromis en fait. « Obéir en refusant », est-ce « obéir », ou « refuser » ? L’acte ne comporte point le jeu du oui et non. L’acte est une hache, il fend en deux le Janus bifrons. Pour être comprise, la leçon d’Alain supposait, pour le moins, une longue patience dans la tension de la volonté, un champ de temps illimité. Or, c’est ce qui manquait le plus à ces garçons : temps et patience. Le monde, ressurgi, comme Jonas, du ventre de la guerre, allait, allait d’un rythme de bolide. Plus vite ! plus vite ! Alain n’y était plus accordé. Ainsi que les meilleurs survivants de l’avant-guerre, il était habitué à vivre et penser sur le plan des siècles. Des Cinq, Adolphe