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funambulesque et furieux, contre l’imbécile quiétude des générations d’avant. Sous toutes les formes de la révolte, ou littéraires, ou intellectuelles, ou sociales, était la même négation de la valeur de l’esprit humain, de quarante siècles de civilisation, de la vie même, des raisons de vivre… Et cependant, comme cette jeunesse n’était aucunement disposée au suicide, son instinct de vivre ne trouvait plus qu’une échappatoire : la destruction. Ils apportaient à démolir une rage endiablée, et ils saluaient les patatras ! avec des éclats de jeunes sauvages : à chaque ruine, ils avaient plus d’espace pour divaguer. — Quant à s’arracher à leur danse du scalp pour se lancer sur une piste de guerre, ils eussent été bien embarrassés pour choisir la piste. Quand on nie tout, pourquoi agir ? Parce que les pieds, les mains, toute la bête, aussi la tête, ne peuvent point s’en passer. Mais que diable agir ? Dans quelle direction ?

Dans tous les temps, on parle beaucoup d’action, à vingt ans ; mais on agit surtout par procuration. Et il n’était plus facile, en l’an de mort 1918, d’élire des fondés de pouvoir. Dans les âges calmes, il y a toujours un personnel de grands favoris, ou de la tribune, ou de l’écritoire, sur qui la jeunesse peut miser. Comme ces chevaux de course ne courent guère, n’ont pas d’obstacles à sauter, on peut sur eux tenir le pari longtemps. Mais dans la guerre, presque tout le lot de canassons avaient roulé dans le ruisseau. Et le peu qui restaient étaient en train de chopper contre la paix. Aucun ne répondait à l’attente. En quelques semaines, ce fut affaire faite. L’équipe ancienne fut liquidée. Les deux idoles opposées se vidèrent, l’une du son, l’autre du sang — du sang des autres — qui les remplissaient : Wilson et Clemenceau. Le faux tigre s’était mué en chien de police. Et quant au candide professeur de moralisme américain en quatorze points, il n’en restait plus rien. Selon la juste injus-