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celles de la nonne, guettait la lueur attentive : chien en arrêt… Bette lui était utile pour occuper les yeux, voire les mains des compagnons. Mais son regard, qui laissait faire, ne laissait point passer les limites du jeu, que tacitement elle avait posées. Ils s’arrêtaient, juste au bord. Loi de la Ruche ! Franchi le seuil de la maison, ils étaient libres, eux et elle, comme cet Anglais, passé le canal de Suez, de violer les Dix Commandements.

Leur langue ne s’en privait pas, même à l’intérieur de la Ruche. Au sortir d’immonde mis à sac par la Raison et par le Droit, il fallait bien se venger ! Cracher dessus les trois Vertus : foi, espérance, charité. Ils en étaient quittes, quand chacun se retrouvait seul, pour s’essuyer le visage. Ces pauvres enfants !… Dans tous les temps, on a douté. Chaque nouvelle génération a rejeté les billevesées de ses aînées. Mais il y avait une différence entre ce jeu de massacre auquel se sont livrés, dans tous les temps, les jeunes gars de l’intelligence, qui seront plus tard les professeurs, les procureurs, les avocats et les gardiens de l’ordre moral et pénal du lendemain, et la révolte convulsive de cette couvée de la grande Imposture, de la guerre du Droit. Le doute d’avant était accommodant ; il se conciliait avec la vie et avec la raison ; il se mariait même agréablement avec le : « Fait bon vivre ! » dont se léchait ses grasses lèvres le vieux Renan. Le doute présent était un typhon de sable et de feu qui rasait tout. Et cette « table rase », qui n’avait pour un Descartes bronzé ou un Anatole France désossé aucun inconvénient, était pour ces adolescents une hallucination mortelle. Ils ne pouvaient plus rien lire, voir ou entendre, sans y flairer le poison mêlé à la nourriture de la civilisation : religion, morale, histoire, lettres et arts, philosophie, lieux communs de la parole publique, « idéalisme » quotidien. Ils le recrachaient avec un rictus de mépris