qu’elle lût le latin un peu mieux que ses compagnons, je crois entre nous qu’elle ne le lisait guère et que plus volontiers elle consultait la Princesse de Babylone. Et plus que tout, elle aimait à lire au cœur de ces garçons. Ç’a toujours été le livre favori des filles. Mais il n’est pas donné à toutes de le bien lire. Ruche y était devenue d’une jolie force. Aucun d’eux ne s’en doutait. Elle les voyait nus.
Ils venaient, ils s’installaient. Avec le sans-gêne des garçons. Ils ne s’inquiétaient pas de la boue de la rue qu’ils apportaient, du bruit et de la fumée dont ils remplissaient la chambre : (il fallait ouvrir toutes grandes, après eux, les trois fenêtres, pour qu’elles dégorgent, et que rentre le frisson glacé de la nuit). Ils disposaient du lieu et du temps, comme si elle n’eût eu qu’à les leur servir, sans un merci. Mais la maîtresse du logis se payait seule ; et elle était capable de les tenir en respect : si l’on ne s’en apercevait pas beaucoup, c’était qu’elle en était assez sûre pour ne pas tenir au respect. Elle en était trop sûre, probablement, comme c’est le défaut des jeunes femmes. Mais elle était friande de connaître tout ce qui passait dans la pensée de ces jeunes mâles ; et elle les laissait s’en soulager, sans une parole, un geste, un clignement, qui arrêtât leurs épanchements. Tranquille, assise, elle se balançait dans un rocking-chair de jardin, la cigarette entre deux doigts, surveillant les tasses de café, que Bette bavarde leur offrait : (c’était elle qui alimentait leurs soirées, avec le moka du papa). Elle entr’ouvrait à peine le bec ironique, quand ils daignaient l’interroger, ou pour aiguiller, sans qu’ils s’en doutent, sur la voie qu’elle désirait, les débats, on les attiser, ou bien éteindre, d’un coup de patte négligent, par deux ou trois mots inattendus, appliqués juste ; puis, de nouveau, elle se retranchait dans son apparente indifférence, l’air distraite, comme si ce n’était point elle qui eût parlé. Mais entre ses paupières plissées, comme