Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/41

Cette page n’a pas encore été corrigée

sur la façade, avait trois fenêtres, dont une en œil-de-bœuf, à l’angle, dans l’avancée, surélevée de deux marches, correspondait au nœud de la corde du violon : elle était la seule partie de la chambre qui reçût un jour suffisant. Peut-être formait-elle primitivement une alcôve en tribune, qu’un rideau, fixé à une tringle, pouvait isoler du reste de la pièce. Ruche en avait fait son réduit. Elle y avait mis en bonne place son seul luxe, un vieux tapis persan qui provenait de sa chambre d’Orléans, et que la famille possédait sans doute depuis le sac de quelque église au temps de la Révolution. Elle y passait une partie de ses journées, quand elle ne courait pas les rues de Paris ; elle s’y installait, les jambes croisées, fumant une cigarette après l’autre, rêvassant, le sourcil froncé, éclatant de rire au passage d’une pensée — (ses amis n’en connaissaient rien : elle gardait pour elle seule ce rire aigu et ces pensées) — ou, quand elle était bien fatiguée d’avoir trotté, étendue, non tout de son long (la niche était un peu trop « juste » pour le long corps du lévrier), mais en arc, les genoux repliés sous le menton, et tenant dans ses mains ses pieds talés par les pavés. Elle travaillait aussi, accroupie, sur le plancher, ses bouquins en cercle autour d’elle, le stylo en main, usant la dernière goutte de lumière qui tombait de l’œil-de-bœuf sur ses prunelles inusables de fin acier, tandis que déjà la nuit inondait les profondeurs de la chambre. Des paravents, aux quatre coins, masquaient les diverses « intimités », et de la toilette, et du manger, et du reste. Elle les nommait ses quatre points cardinaux.

Très peu de meubles, dépareillés. Quelques divans bâtis économiquement. Une longue table, chargée de papiers, qui pouvait aussi servir pour s’asseoir dessus. Deux, ou trois chaises. Un coffre à bois. (On ne faisait pas le feu souvent. La vieille cheminée était un passage à courants d’air.) Les murs maussades