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Douleur d’un monde ! À la même heure, des nations meurent d’oppression et de misère. La grande famine vient de dévorer les peuples de la Volga. Sur Rome se lèvent la hache et les faisceaux des licteurs noirs. Les prisons de la Hongrie et des Balkans étouffent les cris des torturés. Les vieux pays de la liberté, France, Angleterre, Amérique, la laissent violer, et ils entretiennent les éventreurs. L’Allemagne a assassiné ses « précurseurs ». Et dans le bois de bouleaux près de Moscou, la prunelle claire de Lénine s’éteint, sa conscience sombre. La Révolution perd son pilote. La nuit semble tomber sur l’Europe.

Que comptent les destinées de deux enfants — leurs joies, leurs peines, — ces deux gouttes d’eau, fondues en une, — dans cette mer ?… Prête l’oreille ! Tu y entendras gronder la mer. Toute la mer est dans chaque goutte. Tous ses tourments s’y répercutent. Si seulement chacune des gouttes savait, voulait entendre ! … Viens, penche-toi ! Mets ton oreille au coquillage, ruisselant, que j’ai ramassé sur la plage ! Un monde y pleure. Un monde y meurt…

Mais j’y entends aussi, déjà, vagir l’enfant.


septembre 1932.