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Elle était fille de procureur, homme de tête, homme de cœur et de droiture, mais impérieux, orgueilleux, « ireux », tyranneau de soi et des siens, vrai « guespin d’Orléans », « l’esprit de guêpe, disait un de nos vieux de la Ligue, qui s’y connaissait : hagard, noiseux, mutin. » Mal lui en avait pris de faire une fille, qu’il adorait et qui l’aimait, mais « guespine » comme lui, et point disposée à lui céder. Tout ce qu’elle pensait était au contre-pied de ce qu’il pensait. Il n’est point sûr que s’il eût pensé le contraire, elle n’eût point fait en sens inverse le chassé-croisé. Ce n’était pas, comme il est trop facile d’en décréter, par démon femelle de contradiction. C’était pour vivre. Quand un despote vous prend tout l’air, quand il vous impose sa vérité, cette vérité fût-elle la vôtre, elle vous opprime, elle vous tue, et on la hait, et on courrait plutôt se jeter dans le lit de la contre-vérité. Le procureur était imbu des vieux principes sur l’éducation, la famille, l’État, les filles, les femmes, le mariage, la morale selon la Loi. Henriette Ruche s’en était déshabillée, comme des vingt pièces surannées du vêtement féminin.

Elle avait eu le temps de faire ses réflexions. À travers toutes les coquecigrues d’idéalisme tyrannique dont le vieux rhéteur se délectait, elle voyait la réalité qui l’attendait, l’avenir pauvre, gris et froid, d’une fille sans fortune en province. Le peu qu’ils