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disant, vous risquiez bravement de l’éloigner de vous ! Mais s’il vous aime, comme vous en êtes sûre (trop sûre), vous ne l’éloignerez pas, vous lui ferez une blessure ; et cette blessure, bien amère sans doute, lui sera un lien de plus, qui entre dans sa chair. Il ne vous aimera pas moins, il vous dira : « J’oublie tout. » — Il n’oubliera rien. Dans un an, dans deux ans, dans dix ans, la blessure se rouvrira et deviendra purulente. Quand vous, vous ne saurez plus qui était cette femme qui, recrue de douleur et la tête perdue, au milieu de la mort, se donnait dans la nuit, afin de s’agripper dans sa chute à un corps, quel qu’il fût, qui vécût et la retînt accrochée à la vie, — lui, le Marc, la verra, de ses yeux d’oiseau de nuit que l’amour emprunte à la jalousie, et il vous forcera, dans ses yeux, à la revoir. Il vous condamnera à rester liée, à vie, à cette chair du passé que vous aurez dépouillée — que nous dépouillons toutes — comme une vieille robe. Ils veulent que nous gardions, pourrissante sous notre peau, nos vieilles âmes, que nous avons, grâce à Dieu ! laissé tomber, à mesure que nous nous renouvelons. Les hommes sont incapables de comprendre, ma fille, cette force qui est en nous, et qui est notre devoir, de rajeunissement éternel. »

Sa voix, sans s’élever, avait pris un accent de sereine amertume. Assia, silencieuse, la contemplait, étonnée. Annette, qui ne la regardait pas et qui, depuis quelques instants, ne parlait plus pour une autre, mais pour soi, se rappela l’existence de celle qui la regardait, et se retournant vers elle, elle échangea un sourire d’entente :

— « La donna è mobile… » : voilà ce qu’ils disent de nous. Voilà ce qu’ils diraient, s’ils m’avaient entendue. Ils ne comprennent pas que, dans une vraie femme, le vrai ne varie point. Rien de ce que nous avons vécu ne périt, s’il a nourri notre vie ; il fait