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instincts. Et brusquement, la dernière ligne de défense, le donjon, fut envahi : dans la jeune fille firent irruption les mêmes folies. La bête vous soufflait au visage. Et l’on se voyait semblable à elle…

— « Et je le fus ! Et (le plus terrible) je le fus sans peine. Du premier coup… Faut-il donc croire que je l’étais, et que tout le masque de culture qui nous était collé à la peau, nous pesait, et que nos ongles brûlaient de l’arracher ?… Mon père me regardait avec effroi… Les vieux ne peuvent plus changer de peau… Sa présence m’imposait un dernier reste de contrainte. Ce n’était guère ! J’étais enceinte, quand il mourut. Heureusement pour lui, il est mort avant de l’avoir vu… J’ai enterré avec lui celle que j’avais été. Je l’ai laissée, avec lui, pourrir derrière moi sur la route. Je l’ai perdue, j’ai perdu jusqu’à son nom, jusqu’au sentiment de mon identité. Pendant deux ans, je n’ai plus été qu’une anonyme, une folle qu’entraîne le galop furieux du troupeau… Encore aujourd’hui, dans cet instant, mes yeux sont pleins de la poussière. Qu’ai-je vu ? Qu’ai-je fait ? Qu’ai-je subi ? »

— « Laisse, malheureuse ! dit Annette, sa main serrant le genou de Assia. Ne réveille pas ! »

— « Je le veux, dit Assia. Je ne m’en ferai pas grâce. Je vous l’ai dit, si c’est trop suffocant pour vos narines, partez ! »

Elle ne lui fit pas grâce. Elle ne se fit pas grâce. Elle raconta l’affreux exode, la descente aveugle en spirale, avec des bonds et des chutes, au fond du cercle. Elle ne s’épargna aucune humiliation. Elle n’en manifestait ni regrets, ni honte. Elle parlait avec une précision sèche et pressée, la tête haute, le regard dur : la pluie, faisant l’office des larmes, lui coulait le long du nez. Annette, saisie, avalait son souffle, admirait la sobre puissance du récit, impitoyable, ferme, serré, sans un repentir (ni au sens