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Annette, habillée déjà, rangeant ses affaires dans sa valise, semblait prête au départ. Elle se tourna vers Assia. Un regard lui suffit pour entendre souffler dans cette poitrine les grands vents chauds, — non plus la bise glacée d’hier soir : — c’était toujours la tempête, mais l’ouragan avait tourné. Elle dit : — « Sortons ! » — Assia n’entendit pas dans la poitrine de cette autre femme une autre tempête de douleur. Son regard brûlant lut sur la table un télégramme ouvert :

— « Timon dead… » [1].

Les mots, à peine lus, s’effacèrent. Que lui importait ? … Elles sortirent.

Elles marchèrent d’abord, échangeant quelques brèves remarques inutiles sur la pluie qui tombait. Puis, elles se turent en traversant le Luxembourg, entre les deux portes grillées de la rue de l’Abbé-de-l’Épée et de la rue Vavin. Les vertes pelouses étaient sous la bruine. Brusquement, Assia s’arrêta, prit une chaise, dit à Annette :

— « Asseyez-vous ! Je veux vous parler. »

La pluie tombait, fine, tenace, pénétrante. Pas un passant. Elles étaient au pied de la pastoure et de sa chevrette sculptées en pierre. Annette ne discuta point. Elle s’assit sur la chaise ruisselante. Assia, près d’elle. Annette avait un imperméable, Assia un simple châle rouge, très usagé, dont elle ne cherchait même pas à envelopper ses épaules ; sa robe de laine et coton grise, échancrée, buvait l’eau. Annette se pencha, partageant son parapluie avec elle. Assia dit :

— « Ne vous occupez pas de moi ! J’en ai vu d’autres ! Cette robe aussi… »

Annette n’en continua pas moins à l’abriter. Et à mesure que Assia racontait, les deux femmes, coude à coude, prises également par le récit, se serraient, et leurs têtes finirent par se frôler.

  1. « Timon est mort… »