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murs. L’âpre indifférence de Assia, par mépris de soi et de la vie, dont la démence des événements lui avait imposé le pli, s’éprenait du sérieux tragique dans le jeu, que manifestait ce garçon. Elle avait envie de le bercer contre son sein, ce grand bêta, violent et vrai jusqu’à l’absurde, et qu’on aimait pour son absurdité.

Et elle était rapprochée de lui, par leur commun isolement d’esprit, leur arrachement à leur milieu, dont ils avaient pénétré l’incurable erreur et vanité. De même qu’elle avait rompu les ponts entre elle et tout son camp de l’émigration russe, sans pouvoir passer à l’autre camp, qui avait tué les siens, qui l’avait traquée et outragée, qu’elle haïssait de toute la violence de son orgueil foulé aux pieds, — de même Marc rejetait avec fureur tous les mouvements de sa génération française, toute cette jeunesse, dont il perçait à jour l’incohérence, la frivolité, l’égoïsme et l’arrivisme, naïfs, cyniques ou hypocrites, le mensonge d’art, le mensonge de pensée, le mensonge d’action, le mensonge de politique : faux « intellectualisme », faux « réalisme », faux « européanisme », tous ces masques et ces mensonges de la servilité ( « Intelligence service ! » ), de l’impuissance et de l’intérêt…

Il était injuste, atrocement ; et c’eût été inutile de le lui prouver : il le savait, il voulait l’être ; il en avait trop souffert ; il y avait participé ; il avait besoin de se venger, d’arracher de sa peau cette glu, Annette n’essayait pas de discuter. Elle disait :

— « C’est le mauvais sang qui s’en va. Soulage-toi !.. Fais tes dents ! Fais-les aussi sur moi, si ça te fait du bien ! Ça ne sera pas la première fois que tu m’auras mordu le sein. »

Assia n’eût pas refusé qu’il mordît le sien. Ces jeunes dents cruelles lui plaisaient. Elles savaient haïr et aimer, — comme les siennes. L’injustice de Marc, qu’elle était capable de reconnaître, lui était plus