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La confiance débordante que son fils lui témoignait n’était pour elle qu’à moitié… — « Petit rusé !… Tiens ! Je t’embrasse, de compte à demi avec l’autre… Mais cela ne fait pas ton affaire… »

Marc parlait de lui, de lui, de lui… Il ne se vantait pas. Il disait le mal et le bien. Mais il y mettait une passion âpre et insatiable. Et c’est tricher qu’être passionné, en parlant de soi. Fût-ce contre, fût-ce pour, on prend tout l’air et la lumière. On mange l’autre. Ou on lui dit : — « Mange-moi ! » (c’est le même). Marc s’offrait, avide, naïf, sans vouloir ou pouvoir se l’avouer, à la bouche fermée et obstinée de l’inconnue : « Ouvre-toi ! Mange ! » Et comme cette bouche était affamée, elle n’en perdait pas une bouchée.

Elle mâchait sous ses robustes dents cet esprit brûlant, violent, amer, et tendre, comme un jeune bourgeon encore vert. Il était frais à la bouche, et sain. Dans toute cette vie en bouton, désordonnée, contradictoire, qu’il étalait, qu’il accusait, avec une sincérité emportée qui émouvait et faisait sourire les deux femmes — ( « Pauvre petit chien ! » ) — il n’avait rien de gâté, des salissures de ruisseau, dans ses poils — ( « Viens que je te lave ! »…) — mais le corps tout neuf resté, comme celui d’un nouveau-né : la convalescence y contribuait, elle est une nouvelle naissance… Assia, impassible, frémissait, dans son silence de la chambre à côté. Ses mains étaient démangées du désir de toucher ce jeune corps impudent. Elle aimait en ce garçon candide et hardi cette sincérité de torrent des montagnes, et ses ressauts contradictoires. Dans ces contradictions de pensée et — plus encore — d’instincts opposés qui s’arrachent l’être et qui l’exposent aux plus fâcheuses aventures, Assia ne cessait pas de se mouvoir, pour son propre compte. Mais elle y était accoutumée, elle s’en accommodait : c’était sa nature. Marc s’acharnait à en sortir ; et il se meurtrissait aux