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tombeau. Assia marchait, arc-boutée sur ses piliers, ses fortes cuisses écartées, la lèvre inférieure remontée, bouche serrée, sourcils froncés, ses yeux sévères couvant le corps livré à ses bras. Un je ne sais quoi de maternel s’éveillait sous son sein aride, d’où, avec la bouche de l’enfant tué, le lait de la tendresse humaine avait été arraché. Le flot tari remontait, par battements. Elle installa l’homme sans connaissance, dans son lit. Quand, la nuit qui suivit, dans un éclair de conscience, il rouvrit les yeux, appelant : — « Maman ! » comme ceux qui se noient, il se vit dans une chambre étrangère et, penchée sur lui, une belle bouche consolatrice, qui lui disait avec pitié : — « Oui, mon petit… » — et qui baisa ses lèvres sèches.

Elle nettoya la chambre abandonnée. Pendant les semaines qui avaient précédé la maladie, la saleté s’y était amoncelée et les papiers étaient épars dans tous les coins. Elle eut le temps, pendant ses veillées, de les classer. Il s’y trouvait beaucoup de lettres. Elle les lut. L’homme dans son lit était sa proie, — momentanée ; mais compte seul le moment présent ; l’avant et l’après ne sont rien. Toutes les dépouilles du prisonnier faisaient partie du butin.

Beaucoup des lettres étaient de la « maman ». De son écriture ferme et élancée, qui s’envolait par grands coups d’ailes réguliers, comme un oiseau sûr de son chemin, surgit Annette. Sa figure passionnée se dessina dans la chambre obscure, au fond des yeux de Assia. À chaque page que tournaient les doigts de l’envahisseuse, le dessin, fier et tendre, se précisait. Bientôt, elles furent l’une en face de l’autre, se mesurant. Elles ne se dirent rien. Assia, les lettres repliées, flairait la femme inconnue. Elle évaluait son énergie d’amour et de combat : la force vitale. Elle s’y connaissait. Elle ne s’y trompa point. L’homme couché dans la chambre à côté lui en valut davantage, pour être sorti de cette femme.