Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/323

Cette page n’a pas encore été corrigée


Elle avait assez vu de maladies, dans les années de l’exode atroce où elle avait été balayée dans les remous de l’armée débandée, — elle avait assez dû soigner, par des moyens de fortune (d’infortune la plus abjecte), toutes les misères et toutes les hontes des corps blessés, — pour qu’aucun mal ne la prît au dépourvu. Elle ne jugea point utile d’appeler un médecin. Elle décida qu’elle suffisait. Marc guérirait, ou il mourrait, aussi bien dans ses mains que dans celles de la Faculté. Jugeant d’ailleurs de l’autre d’après elle-même, elle pensait que la première chose était de lui éviter l’hôpital, et que l’hôpital serait la première chose qu’un médecin ordonnerait… Non ! quand on meurt, on veut mourir, seul. C’est le dernier luxe.

Elle usa de révulsions énergiques. Elle lui appliqua aux cuisses des sinapismes et de la glace sur la tête. Elle le veilla, l’alimenta, elle le lava. Il n’était point pour elle de soins rebutants. La chambre était sale et l’air vicié ; le jour de la fenêtre sur la cour était bloqué par le mur d’en face si rapproché qu’en se penchant on touchait ses flancs lépreux. La chambre du coin, où gîtait la Russe, bénéficiait d’une échappée sur la rue. Assia ouvrit — força — la porte intérieure qui reliait les deux chambres, et transporta le malade dans la sienne. Il était plus grand qu’elle ; ses longues jambes maigres pendaient et une de ses mains frôlait le plancher : il avait l’air d’un jeune Christ porté au