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elle n’était point morte, elle s’était refait une vie neuve. Elle avait cette inquiétante élasticité des Slaves, à qui les siècles ont appris à tout souffrir, et à durer. Et elle avait ce miraculeux pouvoir de résurrection, qui est le don des âmes élues : (quand je dis : « âme », je dis : « corps » : il est des corps que — l’on croirait ! — l’âge et la mort n’atteint pas : aucune blessure, aucune souillure ; quand vient l’usure, l’enveloppe fripée se fend et tombe, une autre toute fraîche se montre à l’air)… L’âme féminine est un film. Comme des images, les âmes s’y succèdent et tournent (sont tournées). Des âmes souvent étrangères les unes aux autres. Même les plus stables, même une Annette, ont assisté plus d’une fois en elles à ce déroulement. Mais jamais en une Annette, et rarement en une femme d’Occident, ne se produisaient des coupures aussi nettes, de l’une à l’autre âme. En une seconde, chez Assia, il y avait éclipse totale de l’âme régnante : oubli complet. Et une autre âme, d’autres vouloirs, apparaissaient ; elle n’en avait aucun étonnement ; elle s’identifiait à eux immédiatement ; ils étaient siens, elle était leur, tout le temps de l’éclipsé. Puis, elle se retrouvait de plain-pied, sans heurt et sans surprise, dans la première psyché qu’elle avait quittée. C’était un danger permanent. Mais c’était aussi une assurance et un repos. Puisque la première âme revenait ! (On était sûr…) Et dans le temps qu’elle s’était engloutie, elle avait repris force et fraîcheur ; elle ressurgissait, comme des draps d’un bon sommeil…

Ainsi, Assia, sans liens, sans lieu, sans dieu, sans illusion, sans rien de ce qui fait vivre, vivait, imbrisable, l’arc retendu chaque matin, ferme et tout neuf, à la chasse de chaque journée. Des expériences accablantes de la vie où son esprit et sa peau s’étaient frottés, sa peau ne gardait pas la sanie, et son esprit point le goût de néant. Elle était foncièrement saine. La raison avait eu beau tout saper : l’instinct déter-