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nisme épuisé de Marc. Pauvre, sous-nourri, dans un logement insalubre, abusant de ses forces, se tuant de travail, se défendant contre le désir et sucé par lui, ayant le feu au ventre et dans le crâne, enragé à faire l’ordre et la maîtrise dans son chaos, il livrait son combat de tous les instants dans un désert, à l’écart des yeux de tout être humain. Cette solitude meurtrière le livrait aux soubresauts d’une fièvre chaude, qui pompait tous les sucs du corps et du cerveau. Il ne savait plus se reposer. Il avait abusé des narcotiques. Et maintenant, à peine sombrait-il dans le sommeil, qu’il divaguait. Par lueurs de conscience, il s’en apercevait, au fond du trou, et il se tendait désespérément pour en sortir. Il se réveillait, hagard, las à la mort, écœuré, poursuivi par des hallucinations de l’ouïe. Tout bruissait, des moindres objets qu’il effleurait, de la barre du lit, de la vitre, de l’oreiller. Sa fièvre happait les vibrations imperceptibles et les amplifiait démesurément. Il se disait, angoissé : — « Je deviens fou. » Il combattit, plusieurs nuits ; et les jours, anéanti par le reflux de la fièvre, il campait prostré sur le champ de bataille. La dernière nuit, il ne se rendit, il était dressé sur son lit, il criait : — « Non ! » Il arrachait avec ses ongles l’ennemi de ses tempes et de sa nuque…

La porte s’ouvrit… Des mains de femme prirent ses poignets. Stupéfait d’abord, puis courroucé, il se secoua. Mais elles tenaient comme un étau. Il entra en furie. Il baissa la tête, il les mordit. Ses dents entrèrent dans la chair au-dessous du pouce. Mais l’autre main qui l’enserrait, se dégageant, lui appliqua un coup sous le menton. Il lâcha prise et se retrouva, étourdi, la tête renversée sur l’oreiller ; et une jeune femme, penchée sur lui, un genou posé sur le bord du matelas, pour assurer son point d’appui, le maintenait au cou, en lui disant d’une voix chantante :

— « Paix, mon garçon !.. »