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Pour détourner la conversation — (mais elle suivait obscurément sa pensée) — elle lui parla de Bette. La grossesse avait failli se dénouer tragiquement. La petite bourgeoise affolée, qui continuait niaisement à la nier, quand elle s’étalait comme le nez dans le visage, n’avait su ni l’accepter, ni la refuser. Par triste bonheur, une chute dans l’escalier l’en avait délivrée ; mais sa vie avait été bien près d’y rester.

— « Et qui était le drôle ? » demanda Marc.

— « Elle n’était même pas capable de le savoir exactement. Bonne, faible, simple, sotte, ils ont joué d’elle, tant qu’ils ont voulu. »

— « Qui ? »

— « Tous, Véron, Simon, Chevalier, toute la bande. Tu es le seul qui n’y ait point passé. »

— « Ma pauvre Ruche ! Je comprends ta haine. »

— « Non, c’est une faute, même de haïr. Il faut savoir qu’il n’y a qu’une loi dans la jungle : être le plus fort. Malheur à ceux qui se font rouler ! »

— « On ne peut pas toujours être sur la défense. »

— « Attaque, alors ! Pas d’autre choix ! »

— « Et nous, en ce moment, Ruche ? »

Elle vint s’agenouiller devant lui, et posa la joue dans ses mains :

— « Trêve de Dieu. »

Il lui caressa doucement la tête :

— « Eh bien, il faut en profiter. Sauve-toi, Ruche ! Pars de la jungle ! Tu finirais par y laisser tes os, tes petits os blancs. Et ce serait piteux. Tu vaux bien mieux que tu ne le veux. Tu as beau tâcher de le faire croire. Je ne te crois pas… »

Ruche lui embrassa le creux des mains :

— « Mais qu’est-ce que nous avons tous ? Nous sommes piqués… »

— « Tout est troublé. La guerre, les guerres, la sauvagerie des temps nouveaux, qui ont détruit tous les vieux nids, ont mis la folie chez les fourmis. Toi