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fort. Marc percevait seulement ce grondement comme une berceuse, un peu agitée… Il pensait à une nuit en mer… Et la dernière conscience qui persista fut celle, dans ses mains, des deux pieds qui remuaient, remuaient, se repliaient comme des mains, tandis qu’elle parlait…

Bien qu’elle sût que depuis longtemps il n’entendait plus, elle alla jusqu’au bout de son histoire. Et alors seulement, repue et dégorgée, elle s’arrêta. Au silence brusque du moulin, Marc fit un mouvement dans son rêve. La chaise sur laquelle étaient ses jambes bascula. Ruche l’attrapa par la ceinture, et des deux bras passés autour des hanches, elle fit glisser le dormeur sur le lit, auprès d’elle. Il était tout habillé, mais les pieds nus. Elle les posa sur l’oreiller, près de sa joue, et la tête de Marc à ses pieds. Et dans le sommeil elle le rejoignit. Ainsi, ils passèrent la nuit, côte à côte, elle dans les draps, et lui dessus. Les deux étaient écrasés de fatigue. Ils formaient bloc. Ils dormirent comme on peut dormir à cet âge, sept heures d’affilée, sans un mouvement. Il était près de onze heures du matin, quand ils se réveillèrent à la même place, les deux ensemble.

Marc, stupéfait, se mit d’un bond sur son séant, vit contre ses pieds la joue de Ruche, les retira précipitamment sous lui en balbutiant :

— « Pardon, pardon !… »

Ruche rit, et dit :

— « Merci ! »

en s’asseyant, comme lui, sur ses talons. Ils étaient là, à se dévisager, accroupis sur le lit, comme deux bonzes.

— « Tu me fais honte », dit Marc.

Ruche frotta son nez contre celui de Marc.

— « Aie honte, aie honte, stupide gamin !… Je n’ai jamais eu un meilleur oreiller… Quel bon sommeil ! Je suis lavée, je suis vidée de tout ce fiel qui m’infec-