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que tu ne viendrais pas… Tu es venu, J’ai perdu. C’est tout gain… »

— « Simon, dit Marc d’une voix encore tremblante, en quoi puis-je t’aider ? »

— « En rien. En étant là. En me prouvant qu’il y a encore dans ce bordel du monde que je vais quitter, un petit garçon qui ne s’est pas encore vendu tout à fait, qui ne se renie pas, qui ne me renie pas… Tu as beau trembler… Si, tu trembles… Comme aux assises… Tu n’étais pas fort ! On t’a fait peur. Tu as eu peur, tu t’es dépêché de demander pardon, tu as retiré ce que tu avais dit… N’importe ! tu l’as dit… Tout seul contre les loups, les chats-fourrés et les cochons… Et ce n’était pas si mal pour un petit garçon ! Je t’en ai su gré. Il y a dans tes tripes plus d’honnêteté que dans tout le troupeau mis ensemble. »

Marc était plus humilié que flatté. Il eut un écart imperceptible, pour se cabrer, et il répliqua amèrement :

— « Merci du brevet d’honnêteté ! »

— « Tu te dis que je ne suis pas qualifié pour le donner ? Tu te trompes, mon petit. Je m’y connais !… Honnête, je n’entends pas un mouton châtré. Tu peux avoir sali ton poil, dans la sanie et dans le sang, tu es honnête si tu ne fuis pas, si tu ne dis pas lâchement :

— « Ça n’est pas moi » — si tu leur craches dans la gueule : — « Moi ! Me, me ! adsum qui feci !  » — si tu acceptes ta responsabilité. »

— « Et tu l’acceptes ? » demanda Marc.

— « Et je l’accepte. Et si c’était à refaire, je le referais… Je le referais, mieux. »

Marc n’avait pas envie de discuter. Il murmura :

— « A quoi bon ? »

— « À quoi bon vivre ? Vivre, c’est tuer, ou être tué. »

— « Non ! » cria Marc, en faisant un geste des mains, pour se garer, comme un enfant.