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trop occupé de soi. Et personnellement, le jeune Rivière était à part des camarades de son âge. On l’aimait peu, à cause de son caractère ombrageux, de sa réserve, de sa lippe trop souvent méprisante, de sa dureté de jugement, — aussi de sa supériorité marquée à l’école et dans les examens. Mais, bon gré mal gré, il jouissait d’une certaine autorité, pour les mêmes raisons. Et l’influence de sa mère l’avait immunisé, avant les autres, contre la contagion de l’imbécillité collective ; il n’avait pas, comme les autres, attendu la fin de la guerre, pour reconnaître l’universelle duperie et le proclamer. Cette avance sur eux, qu’il avait payée en son temps d’une rude impopularité, lui valait, aujourd’hui que leurs yeux étaient dessillés, quelque crédit. Ils étaient assez justes pour reconnaître que le Marcassin avait eu raison.

Et à cette heure, ce dont ils avaient besoin, ce n’était pas de quelqu’un qu’on aime, mâle ou femelle — (l’amour, alors, était, comme la haine, à bon marché ! ) — c’était de quelqu’un qu’on peut croire et qui voit clair. Ils étaient quatre ou cinq garçons qui n’avaient entre eux rien de commun que cette découverte, dont chacun pour son compte avait reçu le soufflet, de l’abominable tromperie. La honte et la colère d’y avoir été pris, le besoin de se venger, et surtout de se défendre contre les tromperies à venir, les groupaient, coûte que coûte, en dehors du reste du troupeau. Il leur fallait faire trêve à leurs dissentiments et à leurs antipathies, pour associer leurs faiblesses et leurs forces, — non pas amis, mais alliés. Ils tâtonnaient ensemble, comme des insectes aveugles, dont les antennes palpent la nuit. Et chacun attendait des autres, sans vouloir le montrer, le choc du mot qui le mettrait sur la piste.

Ils n’en savaient pas beaucoup plus, les uns que les autres. Mais ils venaient tous les cinq de milieux différents ; chacun apportait donc quelques lueurs