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Mais d’abord, il faut manger. Et le pain ne vient pas dans la bouche d’un Marc Rivière, s’il ne va pas le chercher. À moins qu’il ne l’enlève de la bouche de sa mère !… Et son orgueil dit : — « Assez ! désormais, je mangerai le pain que j’aurai gagné. »

Il a deux tâches précises, ce matin. Deux fanaux dans le brouillard qui remplit encore son cerveau, comme la ville. Une leçon de conversation à un roux Américain aux yeux roses, de la délégation Wilson, qui habite quartier de la Muette. Et un manuscrit de poèmes insanes, dont il a dû rageusement nettoyer le français accommodé à la brésilienne, pour le compte d’un homme jaune de Rio, qui loge près de la Sorbonne… Porte close chez le premier. Un voisin dit que l’homme à la chemise étoilée n’était pas encore rentré ; et s’informant de ce que Marc lui voulait, il ajoute, narquois, qu’il n’avait pas à s’inquiéter : son élève était en train de cultiver le français par une méthode plus directe que la sienne. Marc se rabattit, furieux, sur le client n° 2. Dans l’escalier, la concierge l’arrêta : le monsieur au teint de coing venait de mourir, fauché par la grippe espagnole. Il n’avait point laissé d’adresse. Marc demeurait héritier des poèmes. La mort n’étonnait plus. Cependant, au lendemain des coups de canon de l’armistice, on avait l’impression confuse d’une déconvenue : — « Il n’y a donc rien de changé ?… » Mais l’irritation, chez Marc, l’emportait