Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 5.djvu/251

Cette page n’a pas encore été corrigée

Sylvie ; et elle s’entretint avec celle-ci, presque jusqu’au dernier moment, de la bonne vie (en dépit des saloperies), du bon travail, et des amants.

Les trois enfants, dotés par elle des noms suaves de Bernadette, de Colombe et d’Ange, avaient, chacun selon son rythme, réagi contre l’exemple de cette vie au petit bonheur, au petit malheur, offerte sans voiles à leur précoce expérience. Les deux cadets étaient jumeaux, Ange et Colombe ; ils avaient, à la mort de la mère, entre treize et quatorze ans. Bernadette en avait seize. Le garçon, sage, appliqué, qui possédait l’esprit de famille, montrait des aspirations pieuses et mystiques, que les curés ne manquèrent pas de capter : il se destinait, de bonne heure, à devenir prêtre. Il exerçait une influence sur sa jumelle, une brunette aux beaux yeux d’ânon, tendrement sotte et sensuelle. Ils faisaient tous deux ménage à part. Ils s’aimaient en Dieu. C’était bien Dieu que le pieux Ange aimait en Colombe. Mais la Colombe avait déjà l’instinct naïf, qui la posséda toute sa vie, pour aimer Dieu, d’aimer le garçon : c’en est l’image. À cette oaristys, chaste et gourmande, bien innocente, l’aînée assistait, avec une ironique indifférence. Elle n’avait point une âme de couple. Elle avait sa vie à soi et pour soi. Elle n’en faisait point part aux autres. À peine à soi. Elle ne tenait pas à trop se connaître. Et personne au monde ne la connaîtrait. Elle était une « refoulée », par son contact d’adolescente avec les milieux de Paris qu’affolait la détente orgiaque des années 1919-1920 ; elle avait vu ces oiseaux fous se brûler au feu ; et contre le feu, son instinct l’avait garée. Elle ne les condamnait pas moralement. La morale tenait une place minime dans ses pensées. La question, pour elle, était d’ordre, de raison, de propreté — surtout du dehors : corps et maison, la tenue de la vie… Elle avait trop souffert du « Va comme je te pousse, ! » de la vie de sa mère. Et c’est pourquoi